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Consommation de poisson et exposition au méthylmercure


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Photo : Citron/CC-BY-SA

Une étude menée par une équipe de chercheurs internationaux, dont Krishna Das du Laboratoire d’Océanologie biologique (Unité de Recherche FOCUS), présente de nouvelles données sur la teneur en mercure chez sept populations distinctes de bar européen (Dicentrarchus labrax), une espèce comestible dont la chair est très appréciée par les gourmets. D’où vient cet élément? Est-il présent de façon locale ou plus globale? L’étude, publiée dans le journal Environmental Science & Technology(1), apporte quelques réponses et montre surtout des relevés très différents en fonction de la zone de pêche.

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ous mangeons aujourd’hui deux fois plus de poisson qu'en 1995, soit 17 kilos par habitant. A l’échelle mondiale, cela équivaut à la consommation de 132 milliards de kilos chaque année, soit près de 4.200 kilos de poissons consommés chaque seconde dans le monde. Les mers et les océans sont de plus en plus pollués et les poissons sont donc aujourd’hui de plus en plus exposés à ces polluants comme, le mercure, un élément toxique rémanent en particulier lorsqu’il se présente sous sa forme organique  - le méthylmercure (MeHg) - qui présente de graves risques pour la santé.

Bien qu'il soit naturellement présent dans les écosystèmes, les activités humaines ont augmenté la quantité de mercure à cycle actif, d'un facteur estimé de 3 à 5 depuis l'industrialisation. Malgré les réglementations en vigueur, les niveaux de mercure que l'on détecte encore chez les prédateurs marins sont toujours supérieurs aux normes de qualité de l'environnement.

D’où vient ce mercure? S’agit il d’une contamination locale liée à une source anthropique toute proche du lieu de vie du poisson ou bien a-t-on affaire à une redistribution plus globale liée au cycle du mercure dans l’environnement ? Une question plus complexe qu’elle en a l’air, question d’autant plus importante que le mercure est un élément métallique toxique, surtout sous sa forme organique. Cette question taraude Krishna Das, Maître de Recherche au F.R.S.-FNRS au sein du Laboratoire d’Océanologie biologique (Unité de recherche FOCUS) depuis de nombreuses années car elle a pu observer des concentrations très élevées en mercure chez de nombreuses espèces de poissons et de mammifères marins. Comment trouver l’origine du mercure présent dans ces organismes ? Par une approche isotopique un peu particulière !

Le mercure possède sept isotopes stables. Ces valeurs isotopiques peuvent être utilisées pour tracer les sources et les processus de transformation qui caractérisent le cycle biogéochimique  très complexe du mercure. L’analyse de ces rapports isotopiques nécessite une expertise et un équipement de pointe dont dispose le Dr. David Amouroux, Directeur de recherche CNRS à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour.  Grâce à cette collaboration et de nombreuses autres, des bars communs (Dicentrachus labrax) ont pu être échantillonnés en mer du Nord, dans l’Atlantique mais également en mer Méditerranée, en mer Adriatique et en mer Noire. Les résultats des analyses de ces échantillons se sont révélés étonnants : les concentrations en mercure dans la chair du bar commun sont différentes en fonction de la région d’analyse avec des concentrations parfois multipliées par 40  entre les poissons les moins contaminés et les poissons les plus contaminés. Sans surprise, les poissons les plus contaminés ont été pêchés dans le Nord,  en mer Adriatique et près de la Ria de Aveiro au Portugal.

Carte taux mercure

Valeurs isotopique du mercure chez les bars européens de cette étude.

« Dans cette étude, nous avons utilisé les isotopes stables de mercure (Hg) combinés à la concentration et à la spéciation du mercure, ainsi que les isotopes stables du carbone (C) et de l’azote (N) pour étudier les sources et les voies d'exposition du méthylmercure chez le bar européen (Dicentrarchus labrax) à travers l'Europe, explique Krishna Das. Pour atteindre nos objectifs, nous avons d'abord comparé les niveaux de mercure entre les sites et étudié les causes possibles de la variabilité observée. »

Les analyses ont démontré la pertinence des isotopes stables du mercure comme outils de discrimination. Les valeurs isotopiques du mercure ont également fourni un aperçu des sources de contamination par le mercure du biota (l’ensemble des organismes vivants) dans l'environnement côtier. Il a été suggéré que la présence de mercure au niveau de l'Europe était essentiellement liée à une contamination atmosphérique globale. Tout au long de cette étude, les résultats sur la population de bars de la mer Noire se sont distingués, affichant un cycle de mercure semblable à celui des lacs d'eau douce. « Nos résultats font ressortir la possibilité d'utiliser les isotopes stables du mercure pour discriminer des populations distinctes, explorer le cycle du mercure à grande échelle et  distinguer les sites contaminés par des sources mondiales ou des sources locales de mercure ».

L’approche isotopique utilisée dans le cadre de ces recherches révèle surtout que les sites les plus pollués ont été influencés par des activités industrielles et minières intenses. « Certains sites tel que les lagunes de Marano et de Grado en bordure de la mer Adriatique, témoignent d’une contamination historique locale liée aux activités minière à Idrija en Slovénie. », reprend Krishna Das.

Le programme des Nations-Unies pour l’Environnement (UNEP) a publié plusieurs rapports scientifiques (2) afin de réaliser un état des lieux sur la question de  l’assainissement des sites pollués. « A titre d’exemple, les concentrations en mercure chez plusieurs espèces animales en Arctique sont 10 à 12 fois supérieures à ce qu’elles étaient avant l’ère industrielles (avant 1800 donc), s’inquiète la chercheuse. Ce qui veut dire que 92% du mercure présent dans les tissus des prédateurs marins (oiseaux, phoques et baleines) sont d’origine anthropique ». Les conclusions de l’UNEP sont sans appel : il est indispensable de mettre en place au plus vite une surveillance environnementale à l’échelle globale, non seulement pour tenter de mieux contrôler les sources de mercure mais également pour mieux comprendre la complexité du cycle du mercure en milieu océanique avec pour finalité une protection accrue de l’homme et de l’environnement.

Références scientifiques

(1) Alice A.E. Cransveld, David Amouroux, Emmanuel Tessier, Emmanuil Koutrakis, Ayaka Amaha Ozturk, Nicola Bettoso, Cláudia L Mieiro, Sylvain Berail, Julien P. G. Barre, Nicolas Sturaro, Joseph G. Schnitzler, and Krishna Das, Mercury stable isotopes discriminate different populations of European seabass and trace potential Hg sources around Europe, Environmental Science & Technology, 2017 - Consulter sur ORBi

(2) Global Mercury Assesment - UN Environment

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