Communiqué de presse

Expliquer l’exceptionnelle résilience économique des Carthaginois durant les guerres puniques

En utilisant de récentes données géoarchéologiques


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À travers deux publications scientifiques récentes dans les revues PNAS et Quaternary International, Nathalie FAGEL et Elisa PLEUGER apportent des informations inédites et essentielles à cette compréhension.

À travers deux publications scientifiques récentes dans les revues PNAS et Quaternary International, des chercheurs belges de l’Université de Liège, français, tunisiens et anglais, apportent des informations inédites et essentielles à la compréhension de l’exceptionnelle résilience économique des Carthaginois pendant les guerres puniques. L’analyse d’une série de carottages profonds prélevés dans le delta de la Medjerda autour de la ville d’Utique montre le maintien de l’exploitation d’anciennes mines de plomb et d’argent dans l’arrière-pays carthaginois durant les périodes de conflits, ces ressources minières permettant à Carthage de payer les indemnités de guerre et de financer des armées malgré la perte de ses sources d’argent traditionnelles en Méditerranée.

Les guerres puniques (264-146 av. J.-C.) ont fait l’objet de multiples études centrées sur les aspects les plus sensationnels du conflit entre Rome et la civilisation carthaginoise pour la domination de la Méditerranée occidentale, mais peu se sont intéressées à ce paradoxe : la résilience économique de Carthage malgré les défaites successives, la perte de territoires miniers et l’imposition de réparations de guerre.

Pour expliquer ce paradoxe, les chercheurs ont mis en œuvre des méthodes de la géoarchéologie pour résoudre un problème archéologique et historique. Les chercheurs ont réalisé des carottages, entre 15 et 24 mètres de profondeur, dans le delta de la Medjerda autour de la ville d’Utique, qui, selon la tradition littéraire, serait l’une des trois premières fondations phéniciennes de la Méditerranée occidentale vers 1100 av. J.-C.

Utique était une importante ville marchande située sur un promontoire faisant face à la mer. Au cours des siècles, elle a perdu son accès à la mer et ses ports ont été ensablés par l’activité de l’oued Medjerda, qui s’écoulait au sud de la ville. Malgré plus d’un siècle d’investigations de la part des archéologues et des chercheurs associés, l’emplacement des ports phénicien et romain de la ville reste inconnu, enfoui sous des sédiments résultant de la progradation de la Medjerda.

Les carottages ont permis de remonter jusqu’au 6e millénaire av. J.-C. (datation par radiocarbone) et de caractériser les différentes couches sédimentaires notamment à l’aide d’analyses minéralogiques et géochimiques. L’utilisation d’un traceur récemment développé en géoarchéologie, celui des isotopes du plomb appliqués à l’étude des paléo-pollutions, a fourni des données particulièrement importantes pour la caractérisation chimique des différentes couches.

Les résultats mettent en évidence l’existence d’une longue façade maritime au nord du promontoire d’Utique aux époques phénicienne et romaine. Un environnement marin profond est attesté dans l’ancienne baie au 6e millénaire av. J.-C. et la profondeur de la colonne d’eau le long de la façade nord était toujours de 2 mètres vers les 4e – 3e s. av. J.-C. Un autre carottage à l'est du promontoire de Kalaat El Andalous a montré la possibilité que ce secteur ait été un port protégé pendant les périodes phénicienne et romaine.

Les données fournissent parallèlement des preuves de l’existence d'anciennes mines de plomb et d’argent dans l’arrière-pays carthaginois et présentent une chronologie d’exploitation qui semble suivre les principales périodes d'instabilité géopolitique de l'époque. La première phase de l'activité minière enregistrée dans les sédiments d'Utique a eu lieu pendant les guerres gréco-puniques (480-307 av. J.-C.), puis lors des guerres puniques (264–146 av. J.-C.).

Lors des guerres puniques, les données suggèrent que Carthage était toujours en mesure de payer des indemnités et de financer des armées en dépit de la perte de ses sources d'argent traditionnelles en Méditerranée. Les recherches montrent que l'exploitation des minerais métallifères tunisiens entre la deuxième moitié du quatrième siècle et le début du troisième siècle avant notre ère a contribué à l'émergence de la monnaie punique et au développement de l'économie carthaginoise.

Ces articles scientifiques illustrent de manière remarquable la contribution de la géoarchéologie à la compréhension des interactions entre une société et son environnement au cours de l’histoire.

Sources

Hugo Delile, Elisa Pleuger, Janne Blichert-Toft, Jean-Philippe Goiran, Nathalie Fagel, Ahmed Gadhoum, Abdelhakim Abichou, Imed Ben Jerbania, Elizabeth Fentress, and Andrew I. Wilson (2019). Economic resilience of Carthage during the Punic Wars: Insights from sediments of the Medjerda delta around Utica (Tunisia). PNAS. https://doi/10.1073/pnas.1821015116

Elisa Pleuger, Jean-Philippe Goiran, Hugo Delile, Ahmed Gadhoum, Abdelhakim Abichou, Andrew Wilson, Elizabeth Fentress, Imed Ben Jerbania, Faouzi Ghozzi, Nathalie Fagel (2019). Exploration of the maritime façade of Utica: the potential location of the Phoenician and Roman harbours. Quaternary International. https://doi.org/10.1016/j.quaint.2019.04.007

Contacts presse

Pr Nathalie FAGEL, Argiles, Géochimie et Environnements sédimentaires (AGEs), Département de Géologie, Université de Liège
 
Elisa PLEUGER, Docteure en géoarchéologie, Argiles, Géochimie et Environnements sédimentaires, Département de Géologie, Université de Liège / UMR 5133 Archéorient, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Université de Lyon 2

Illustrations

Vues du site archéologique dans le delta de la Medjerda, du carottier et d’une portion de carotte nettoyée pour étude et prélèvements. © Elisa Pleuger

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