Une publication dans Nature Communications

Extinction du Dévonien : les chercheurs découvrent à quel rythme les océans sont devenus hostiles à la vie


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Une équipe de géologues allemands, belges, américains et chinois a examiné les cycles climatiques dans différentes successions rocheuses pour déterminer le moment précis de l'extinction du Dévonien. Leurs résultats, publiés cette semaine dans Nature Communications, permettent de savoir à quelle vitesse les océans sont devenus hostiles à la vie au cours du Dévonien.

D

ans l'histoire de la Terre, les géologues distinguent cinq phénomènes d'extinction de masse particulièrement graves. L'extinction massive du Dévonien en fait partie et s'est produite il y a 374 millions d'années, soit plus de 300 millions d'années avant l'impact d’astéroïde qui a fait disparaître les dinosaures. Le Dévonien était une période très particulière : les grands poissons régnaient sur les océans et les récifs coralliens étaient florissants, mais il n'y avait pas encore de grands animaux sur terre. Selon David De Vleeschouwer, géologue au MARUM (Centre des sciences de l'environnement marin de l'Université de Brême), « le climat du Dévonien correspondait à un état de serre extrême, avec beaucoup plus de CO2 dans l'atmosphère qu'aujourd'hui.» Cependant les scientifiques ne savaient pas exactement quand et à quel rythme la Terre était devenue inhospitalière à la vie au cours de l'extinction massive du Dévonien.

Oceans Devonien Black Shale Germany

Steinbruch Schmidt (Bad Wildungen) : expression sur le terrain, au sein des successions rocheuses de l’extinction massive du Dévonien. L’évènement d’extinction est marqué par des niveaux de schistes noirs (indiqués par le marteau de géologue) qui interrompent la succession continue de calcaires marins.
Pour des raisons encore débattues par les scientifiques, les océans sont devenus pauvres en oxygène lors de l'extinction massive du Dévonien. « Cet événement a étouffé la majeure partie de la vie dans l'océan, et les récifs coralliens dévoniens en ont été parmi les principales victimes », explique Anne-Christine Da Silva (Unité de Recherches Geology - Faculté des Sciences) de l'Université de Liège. La cause principale de l'extinction est un sujet qui reste très débattu en géologie car il n' y a pas de preuve irréfutable présentée comme le déclencheur de ce massacre sous-marin. En fait, le niveau d'oxygène dans l'eau océanique a chuté deux fois au cours de l'extinction. Les géologues le savent grâce aux niveaux de schistes noirs qui permettent de retracer les intervalles de cette extinction en examinant des successions rocheuses autour du globe. Ces deux niveaux de schistes noirs sont riches en composants organiques parce qu'il n'y avait pas assez d'oxygène pour que la matière organique se décompose, ni pour que les organismes sous-marins puissent respirer.

David De Vleeschouwer et son équipe ont utilisé une technique appelée la cyclostratigraphie qui est un véritable chronomètre géologique. « Nous avons combiné des informations provenant de coupes géologiques couvrant l'extinction dévonienne de Belgique, de Pologne, de Chine, du Canada et des États-Unis. Dans toutes ces coupes, nous avons pu remarquer les effets engendrés par l’excentricité de l’orbite terrestre autour du soleil. »  Lorsque l'excentricité est faible, la Terre tourne autour du Soleil sur une orbite proche d'un cercle parfait, mais lorsque l'excentricité est plus élevée, l'orbite devient beaucoup plus elliptique. Ceci a pour conséquence des disparités très fortes de la quantité d'énergie solaire reçue par la Terre en hiver et en été. Les changements de l’excentricité orbitale se font selon des périodes fixes de 100 000 et 405 000 ans.

Orbites Terre Eccentricite

L’excentricité de l’orbite terrestre se modifie suivant un rythme régulier, oscillant selon les périodes entre cercle parfait et configuration elliptique. Cette image n’est pas à l’échelle.

Les auteurs ont identifié ces cycles et utilisé la durée de ces cycles pour calculer celle entre les deux niveaux de schistes noirs, et ils ont découvert que le deuxième épisode de faible niveau d'oxygène avait commencé 600 000 ans après le premier. Ce résultat est la première mesure temporelle précise de cet épisode essentiel de l'évolution de la vie sur Terre, et il s'est avéré beaucoup plus court qu’estimé. Par ailleurs, l'équipe scientifique a remarqué que l'extinction coïncidait avec une période prolongée de faible excentricité de l’orbite terrestre. Cela signifie que celle-ci a été presque circulaire pendant plusieurs dizaines ou centaines de milliers d'années, donnant lieu à des climats relativement stables. Ces climats invariables ont engendré une circulation océanique plus lente et la stratification de la colonne d'eau, éléments qui ont favorisé de faibles niveaux d'oxygène dans les océans.

Les chercheurs ne prétendent cependant pas avoir démasqué la cause première de l’extinction au Dévonien. Pour eux, les plantes terrestres en sont probablement les principaux responsables. En effet, pendant le Dévonien, les plantes terrestres ont développé des systèmes racinaires profonds et des tissus ligneux denses, ce qui leur a donné l'avantage évolutif de coloniser différents environnements. Mais le succès des plantes terrestres a un coût : lorsqu’elles meurent, leur biomasse est rejetée dans les cours d'eau et dans l'océan. « Les mers du Dévonien ont ainsi été progressivement étouffées par les nutriments des plantes en décomposition, un processus au cours duquel l'oxygène est absorbé et les autres formes de vie privées de nourriture », explique David De Vleeschouwer. L'évolution des plantes terrestres est toutefois un processus lent et graduel. Ce n'est que lorsque la configuration excentrique de l'orbite terrestre a favorisé une circulation océanique lente que tous les facteurs ont été alignés pour pousser le système terrestre au-delà de son point de basculement, causant l'extinction massive du Dévonien. »

 

Référence scientifique

Timing and pacing of the Late Devonian mass extinction event regulated by eccentricity and obliquity, Nature Communications
Auteurs : David De Vleeschouwer 1,2, Anne-Christine Da Silva 3,4, Matthias Sinnesael2, Daizhao Chen5, James E. Day6, Michael T. Whalen7, Zenghui Guo5 & Philippe Claeys2

1MARUM—Center for Marine Environmental Sciences, University of Bremen, Germany
2 Analytical, Environmental and Geo-Chemistry (AMGC), Vrije Universiteit Brussel, Belgium.
3 Sedimentary Petrology Laboratory, University of Liège, Belgium
4 Paleomagnetic Laboratory, Utrecht University, Budapestlaan 17, The Netherlands
5 Institute of Geology and Geophysics, Chinese Academy of Science, Beijing, China
6 Department of Geography–Geology, Illinois State University, USA
7 Department of Geosciences, University of Alaska, Fairbanks, USA.

Contacts 

David De Vleeschouwer, ddevleeschouwer@marum.de, +49 1 603 353 848 (D / NL / EN)
Anne-Christine Da Silva, ac.dasilva@uliege.be, +32 486 477 805 (FR / EN)
Philippe Claeys, phclaeys@vub.be, +32 474 840 013 (NL / FR / EN)
Matthias Sinnesael, msinnesael@vub.be, +32 2 629 14 79 (NL / EN)

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