Covid-19

Le Covid-19 brise les fragiles solidarités avec les réfugiés

Opinion


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Quel est l’impact de l’urgence Covid-19 sur la question des réfugiés ? Comment concilier les directives de distanciation sociale avec la réalité des centres d’accueil, et par extension des autres contextes d’enfermement collectif ?

Une opinion d'Alessandro Mazzola et de Marco Martiniello (ULiège) publiée le 1 avril 2020 sur The Conversation France.

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a diffusion du Covid-19 a remis en évidence l’urgence de définir des stratégies précises pour contrôler les mouvements des personnes dans le contexte global. La question des réfugiés, qui était au centre de ce débat jusqu’il y a quelques semaines, est cependant passée au second plan, suite à un changement prévisible des priorités dans les agendas gouvernementaux. Les migrants continuent toutefois à être entassés dans les structures d’accueil aux portes de l’Europe qui connaissent actuellement une crise aux proportions tragiques.

Quel est l’impact de l’urgence Covid-19 sur la question des réfugiés ? Comment concilier les directives de distanciation sociale avec la réalité des centres d’accueil, et par extension des autres contextes d’enfermement collectif ? Quel effet la pandémie peut-elle avoir sur les relations entre les migrants et les non-migrants, tant en ce qui concerne les pratiques de solidarité qui ont émergé depuis l’été 2015 qu’en ce qui concerne les attitudes et les actions hostiles envers les migrants et les réfugiés ?

Désunion européenne

Les fragilités et les divisions issues de la pandémie minent la gouvernance de l’Union européenne, en particulier sur les questions liées à la mobilité des personnes. Les pays sont sur le point de se refermer sur eux-mêmes alors que les contrôles des frontières intérieures et extérieures s’intensifient rapidement.

ec.europa.eu

Au moment où l’on recensait en Italie les premières infections et les premiers décès liés au coronavirus, la Turquie s’engageait dans un conflit géopolitique avec l’Europe en ouvrant ses frontières, poussant des milliers d’individus vers les camps de transit des migrants en Grèce.

La réaction d’Athènes sur le terrain et les timides pressions diplomatiques de l’UE ont freiné Ankara après deux semaines de tensions aux frontières.

Morts et violences en hausse sur les îles grecques

L’arrivée du virus en Europe a coïncidé avec un pic de tension maximale dans les cinq îles grecques de la mer Égée qui abritent au total près de 42 000 demandeurs d’asile. Les milliers de migrants amassés dans et autour du camp de Mória, le principal hotspot sur l’île de Lesbos, et dans les autres centres ont vu leurs conditions de vie déjà terribles s’aggraver fortement.

Les tentatives de suicide et les accidents mortels se succèdent sans discontinuer. La Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen a lancé un appel à la Commission pour l’évacuation du camp de la population à haut risque.

Certains, comme le photojournaliste allemand Michael Trammer, dénoncent également des attaques qui auraient été menées par des groupes d’extrême droite venus du continent grec à l’encontre des migrants, mais aussi des humanitaires et de la presse. Ces groupes seraient aussi appuyés par d’autres, venus d’Europe continentale.

Après cinq ans de pression croissante, une partie de la population locale se retourne maintenant contre les migrants. Les manifestations d’hostilité se succèdent au sein de la même société qui avait fait preuve d’une grande solidarité lors de la crise de l’accueil en 2015.

L’île de Lesbos est représentative de l’amplitude de la tragédie que vivent les migrants en Europe. D’autres pays présentent des cas non moins problématiques à travers le monde et requièrent une action urgente comme à la frontière du Bangladesh ou des millions de Rohingyas sont en danger.

Il y a peu de protection possible contre le Covid-19 au camp de réfugiés de Mória.

Des mesures sanitaires inapplicables

Les réglementations en matière de santé et de distanciation sociale adoptées dans la lutte contre le Covid-19 sont totalement inconciliables avec la réalité des lieux d’enfermement, comme en témoignent les émeutes dans les prisons italiennes au cours desquelles plusieurs prisonniers ont perdu la vie.

Ces événements mettent en évidence un phénomène plus large concernant l’application des réglementations anti-contagion dans des lieux surpeuplés, où une éventuelle explosion du virus serait catastrophique en termes de pertes de vies humaines.

Ces lieux comprennent bien évidemment les centres collectifs destinés aux migrants en Europe, qu’il s’agisse des centres de transit ou de rétention administrative (CRA) qu’on appelle parfois les « centres fermés ».

Afin de faire face à l’urgence sanitaire découlant de la propagation de la contagion par le Covid-19, les institutions étatiques ont, sans surprise, renforcé les actions pour limiter les arrivées de nouveaux migrants.

Les institutions chargées des questions migratoires en Belgique ou en Allemagne, par exemple, ont décidé de ne plus enregistrer de nouvelles demandes d’asile jusqu’à une date indéterminée.

Entre-temps, les appels et les mobilisations en faveur de la régularisation des migrants en situation irrégulière, y compris ceux qui sont en détention, se poursuivent. Des centaines de migrants détenus dans les CRA françaises font actuellement une grève de la faim. Des associations syndicales et humanitaires ont soumis une demande au gouvernement italien afin de garantir le droit à la santé des dizaines de milliers de migrants en situation irrégulière employés dans l’agriculture. Pour le moment, le seul pays qui a adopté des principes de solidarité est le Portugal, qui a accordé une régularisation jusqu’au 1ᵉʳ juillet aux migrants qui attendent que leur demande soit traitée.

Les solidarités mises à mal

Ces appels et mobilisations montrent que le principe de solidarité à l’égard des migrants et des réfugiés, au moins dans la société civile, repose encore sur des bases solides. Cependant, l’urgence coronavirus et l’application des règles de distanciation sociale conduisent à la raréfaction – et souvent à la disparition complète – des pratiques de solidarité directe qui ont caractérisé la crise de l’accueil de 2015-2018.

Ces pratiques s’étaient souvent transformées en actions de soutien fondamentales, structurées et durables. Les centres d’accueil autour desquels les mouvements citoyens s’étaient développés, comme la plate-forme BxlRefugees, créée pour aider les demandeurs d’asile et les réfugiés en Belgique, sont désormais fermés au monde extérieur.

Plus vulnérables, plus isolés et moins visibles, les mineurs non accompagnés risquent d’être plus fortement impactés par ces phénomènes et abandonnés à leur sort.

La peur collective alimente la xénophobie

Comme l’a montré l’exemple grec, l’extrême droite n’a pas perdu de temps pour exploiter la peur collective du coronavirus, pour relancer ses idées xénophobes et le principe de la protection des frontières nationales. C’est le cas par exemple de Viktor Orban, à qui le Parlement hongrois vient d’accorder des pouvoirs quasi illimités pendant la pandémie, qui a directement accusé les migrants de la propagation de la contagion.

Dans la même veine, Donald Trump a toujours parlé de « virus étranger » depuis le début de cette crise. En Italie, non seulement les médias d’extrême droite, mais aussi une partie du journalisme mainstream rouvrent l’un des thèmes populistes les plus porteurs dans le débat sur les migrations contemporaines.

Certains politiciens et leaders d’opinion prompts à accuser les ONG de faciliter le trafic de migrants les pointent aujourd’hui du doigt comme étant peu impliquées ou désintéressées de l’urgence qui touche les hôpitaux. La réalité est pourtant autre, comme le montre le cas d’Emergency qui est largement impliquée dans le soutien à la première ligne de soins.

Ces arguments profitent du changement radical de priorités au sein des gouvernements européens depuis ces dernières semaines.

Des stratégies de contrôle plutôt que de soin

Au niveau national et local, les stratégies pour faire face à l’épidémie de Covid-19 ont inclus une augmentation progressive des mesures de contrôle individuel, avec même une intervention directe de la police pour contenir et sanctionner les personnes qui ne respectent pas les mesures de confinement. Il y a actuellement des centaines de milliers de contrôles quotidiens en Italie, mais la police est active dans toute l’Europe, tant aux frontières que dans les rues des villes.

Aux yeux de millions de citoyens soumis à l’énorme stress et à l’anxiété du confinement, toute violation des directives visant à contenir la contagion sera considérée comme inacceptable. Toute dérogation à la circulation, qu’elle soit internationale ou locale, sera perçue comme un privilège au détriment de la sécurité nationale. Les réactions négatives dans le cas où de tels privilèges seraient accordés aux migrants sont malheureusement concevables.

Le risque est de voir se polariser les principes de hiérarchisation sociale et d’égoïsme nationaliste qui font référence aux slogans « la France d’abord », « prima gli italiani » ou « Britain first », pour ne donner que quelques exemples.

D’ici la fin de la crise Covid-19, toute urgence ou catastrophe qui contraindra des individus à migrer sera vue comme moins urgente, moins importante que celle qui nous contraindra à rester confinés chez nous.


 

Alessandro Mazzola, Post-doc Research Fellow, Sociologist, Université de Liège and Marco Martiniello, Research Director FNRS Director, Centre d’Etude et des Migrations (CEDEM) Directeur de l'IRSS, Faculté des Sciences Sociales, Université de Liège, Université de Liège

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

Image par Gerd Altmann de Pixabay

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