Journée internationale des femmes

Cinq regards sur la place des femmes dans la science


Cinq femmes - cinq chercheuses parmi d'autres - cinq regards sur la place des femmes dans la science. Avec des centaines d’autres, elles contribuent au progrès des connaissances, à la qualité et la diversité des recherches menées à l’ULiège... Cinq personnalités à découvrir à travers leur témoignage recueilli à l’occasion de la Journée internationale des femmes.

Anna LECHANTEUR, chercheuse et chargée de cours adjointe en Pharmacie
+

Anna Lechanteur (c) Aurélie Gouverneur7

"Les habitudes familiales ont changé et continuent d’évoluer vers une répartition des tâches domestiques. Cela aura nécessairement un impact sur la carrière professionnelle des femmes."

Le Laboratoire de Technologie pharmaceutique et Biopharmacie, où Anna Lechanteur a effectué sa thèse de doctorat, est spécialisé dans l’optimisation de formulation de médicaments afin d’améliorer leur absorption. Après y avoir développé des nano-vecteurs lipidiques qui peuvent protéger et véhiculer des molécules actives de type acides nucléiques, elle y coordonne maintenant un projet qui vise cette fois la mise au point de poudres innovantes permettant l’inhalation pulmonaire profonde de principes actifs. « Je suis passionnée par mon travail », dit-elle, en regrettant que le statut des chercheur·euse·s soit précaire. « L’incertitude est pesante. Cumuler les petits contrats d’année en année est, d’un point de vue professionnel et personnel, très inconfortable. »

Cependant, ces difficultés sont dues au manque de moyens, et touchent autant les hommes que les femmes dans le Département de Pharmacie, qui compte d’ailleurs un grand nombre de chercheuses. Un département peut-être privilégié où l’inégalité entre les hommes et les femmes ne se ressent pas. Anna Lechanteur se montre donc plutôt optimiste pour la place des femmes dans les postes à responsabilité : « Je pense que la répartition homme/femme au sein du corps professoral devient, sinon équitable, du moins correctement répartie. »

Mettre en évidence des femmes remarquables

S’il faut profiter de cette journée du 8 mars pour dénoncer les discriminations dont les femmes font l’objet et revendiquer certains droits, Anna Lechanteur aimerait que les femmes la vivent aussi de manière positive, en mettant certaines figures féminines en évidence. Il y a des femmes qui arrivent à mener une grande carrière, même si c’est toujours un peu exceptionnel. Mais les mentalités sont en train d’évoluer. On voit que les hommes prennent de plus en plus part aux tâches ménagères et à l’éducation des enfants. Ces évolutions permettront vraisemblablement aux femmes de pouvoir s’occuper davantage de leur carrière. Elle en est convaincue.

Au sein de l’ULiège aussi

Anna Lechanteur tient à rappeler que l’équipe de recherche où elle travaille est dirigée par deux femmes, les professeures Brigitte Évrard, Présidente du Département de Pharmacie, et Géraldine Piel, et qu’elle collabore avec beaucoup de professeures reconnues comme Christine Jérôme, Marianne Fillet, Angélique Léonard ou Agnès Noël.  

Elle ne doute d’ailleurs pas que dans un avenir relativement proche, des femmes occuperont de hautes fonctions académiques dans notre Université : « Les élections rectorales dernières ont été marquées par la candidature d’Ann-Lawrence Durviaux, première candidate féminine. » Et cette perspective, elle la trouve enthousiasmante !

Barbara POLESE, chercheuse en Immunologie
+

bpolese giga aurelie gouverneur

"Pour beaucoup de gens, le droit des femmes n’est pas la principale préoccupation, mais c’est important qu’ils prennent le temps d’y réfléchir au moins le 8 mars."

Barbara Polese étudie les barrières immunitaires, ces tissus qui sont en contact constant avec des agents extérieurs et doivent distinguer ce qui est potentiellement dangereux - bactéries et virus pathogéniques - de ce qui ne l’est pas. Les recherches post-doctorales qu’elle mène actuellement à l’Université McGill, au Canada, concernent le psoriasis. Plus spécifiquement elle analyse le comportement d’un type de cellules inflammatoires, les cellules T gamma delta, pour comprendre comment elles sont régulées dans ce contexte de peau enflammée. Un travail qu'elle aime énormément : «Beaucoup de sujets de recherche m’intéressent mais je trouve l’immunologie particulièrement passionnante

Dans les laboratoires qu’elle a fréquentés à Paris, à Liège ou au Canada,  Barbara Polese ne s’est jamais sentie discriminée en tant que femme. Il lui semble d’ailleurs que la proportion de doctorantes qui y mènent des recherches augmente petit à petit.  En même temps, elle doit bien constater que, après la thèse, les femmes sont encore peu nombreuses à être stabilisées, à diriger un labo ou une équipe de chercheurs. La question de la grossesse, pendant ou même après la thèse, reste aussi problématique. « J’ai l’impression que notre métier de chercheur (qui implique de ne pas compter ses heures de travail) est assez difficile à combiner avec une vie de famille et que cela pourrait expliquer cette faible représentation de femmes. » Mais elle est bien consciente d’avoir de la chance, ce qui n’est malheureusement pas le cas pour d’autres :  « Je me sens concernée par les nombreuses discriminations qui existent encore de nos jours ! »

Les mentalités évoluent

Barbara Polese est de nature optimiste. Les choses sont en train de changer, lentement mais sûrement. Les femmes commencent à occuper elles aussi des postes de direction : «  On verra bientôt de plus en plus de femmes chercheuses principales et même remporter des prix Nobel ! »

Des mentores

Parce que les femmes sont aussi de remarquables scientifiques, autant que leurs collègues masculins. « À l’ULiège, j’ai envie de citer quelques chercheuses formidables avec qui j’ai travaillé ou dont le cours m’a particulièrement intéressée quand j’étais étudiante : Sophie Perrier d’Hauterive, Carine Munaut, Nathalie Jacobs et Agnès Noël... »  Et cette liste et loin d’être exhaustive…  

Saïcha GERBINET, ingénieure du Développement durable
+

Saicha

"Montrer l’exemple pour que les enfants ne soient pas surpris de voir une femme ingénieure ou un père au foyer."

Après sa thèse de doctorat sur l’impact environnemental d’un matériel biobasé utilisé comme liant (une colle) dans certains matériaux comme des isolants, Saïcha Gerbinet termine actuellement d’écrire les publications scientifiques consécutives à sa thèse. Au sein de l’UR Chemical Engineering en Faculté de Sciences appliquées, elle poursuit ses recherches en appliquant la même méthode globale d’analyse du cycle de vie (ACV) pour évaluer cette fois l’impact environnemental de la construction des routes ou de produits issus de l’industrie chimique. « Ma méthode est encore jeune et de nombreux challenges persistent, surtout dans le domaine des produits biobasés. »

Le développement durable la passionne, et si elle ne sait pas si elle pourra toujours être chercheuse à l’Université dans dix ans, c’est sans hésitation dans ce domaine qu’elle voudrait consacrer la suite de sa carrière professionnelle.

La valeur de l’exemple

« J’espère qu’un jour cette journée ne sera plus utile ! », s’exclame-t-elle à l’évocation de la Journée internationale des femmes. Mais les stéréotypes ont encore la vie dure. Pour elle, ce sont les actions au quotidien qui permettront de changer les choses, une journée par an, ce n’est pas suffisant. Elle ajoute : « Le meilleur moyen de faire bouger les choses est de montrer l’exemple aussi bien dans sa vie privée que professionnelle pour que les enfants, garçons ou filles, ne soient pas surpris de voir une femme ingénieure ou un père aux foyer. »

Ingénieure, elle l’est, et elle explique n’avoir jamais été confrontée à des différences importantes en tant que femme chercheuse. Travailler dans un département où les femmes sont nombreuses a facilité son parcours mais elle relève toutefois les difficultés de la conciliation vie privée-vie professionnelle : « Je constate que dans beaucoup de cas, les femmes sont toujours responsables de l’entretien de la maison et passent plus de temps à s’occuper des enfants ; elles disposent donc de moins de temps à consacrer à leurs recherches. »

D’autres femmes, sources d’inspiration ?

Saïcha Gerbinet cite Angélique Léonard, qui dirige l’UR Chemical Engineering, « pour son parcours et son investissement pour défendre les droits des femmes » (NDLR : Angélique Léonard préside le Comité Femmes et Sciences de la Fédération Wallonie-Bruxelles).

D’autres ingénieures encore : Sylvie Reginster, « pour sa détermination et son parcours inspirant », Fanny Lambert « car elle parvient à concilier parfaitement et avec le sourire sa vie professionnelle et sa vie privée », et Angélique Delafosse « pour son investissement ».

Oriane PETTENI, chercheuse en Philosophie
+

Oriane Petteni

"La journée des femmes a un sens profondément politique. Il s’agit de réintégrer la question des femmes, et notamment des travailleuses, dans les réflexions globales sur l’émancipation politique, économique et sociale."

Oriane Petteni est chercheuse en philosophie au sein de l’UR Traverses. Ses travaux se situent au croisement de la métaphysique, de la philosophie politique, de la philosophie des sciences et de l’esthétique. Ils visent à interroger la coupure moderne entre nature et culture, responsable de la crise écologique actuelle et à produire une réévaluation écocritique de la philosophie postkantienne. « Je m’intéresse plus particulièrement à la philosophie de la nature allemande, dont je cherche à montrer qu’elle constitue un corpus particulièrement puissant conceptuellement pour repenser les apories de l’Anthropocène et pour affronter les défis contemporains actuels, et notamment le risque de catastrophe planétaire.

Au-delà des frontières invisibles et inconscientes

« Pour moi, la journée des femmes a un sens profondément politique. Il s’agit de réintégrer la question des femmes, et notamment des travailleuses, dans les réflexions globales sur l’émancipation politique, économique et sociale. » Oriane Petteni rappelle à cet égard les origines de cette journée, dont l’idée est lancée en 1910 par l’instigatrice de l’internationale socialiste des femmes Clara Zetkin, celle-ci s’inspirant de mouvements d’ouvrières aux USA quelques années plus tôt.

Si tous les chercheurs sont confrontés à la précarité, le parcours des femmes chercheuses se double de difficultés spécifiques. « Les constats que je fais avec mes consoeurs d’horizons divers se recoupent sur un certain nombre de problèmes structurels. Une série de facteurs créent des frontières plus ou moins invisibles et inconscientes qui participent de comportements très fréquents d’auto-limitation, d’auto-dévalorisation ou d’auto-invisibilisation chez les chercheuses. » Oriane Petteni cite par exemple : l’entre-soi masculin lors des événements scientifiques et/ou plus informels, une quantité moindre d’invitations à participer à des événements et/ou publications scientifiques, une moins grande tendance à être cité par ses pairs à compétence égale, certaines remarques/attitudes sexistes dans le milieu professionnel ou en conférence.

Oriane Petteni évoque également une étude publiée dans la revue Nature qui montre que, à niveau égal, pour qu’une chercheuse obtienne la même reconnaissance et légitimité que son collègue masculin, elle devra être 2,6 fois plus productive que lui.* « Quand on connait les pressions de publications actuelles, c’est absolument éreintant, surtout si l’on souhaite éventuellement développer une vie de famille à côté. Cela explique à mon sens que nombre de chercheuses brillantes s’arrêtent après la thèse. Je note qu’il existe cependant un certain nombre de collègues hommes à l’écoute et sensibles à notre situation ainsi qu’une grande solidarité entre doctorantes des diverses institutions francophones qui permet malgré les éventuelles difficultés de continuer à exercer ce métier avec passion. »

La recherche en philosophie, c’est en effet avec passion qu’elle l’exerce. S’il lui est difficile de se projeter à plus de quelques mois tenant compte de la précarisation du métier de chercheur notamment en sciences sociales, elle espère continuer dans cette voie. « Ma vie est profondément liée à la philosophie. »

Les faiseuses d’histoires

« J’ai toujours trouvé inspirant le livre co-signé par Vinciane Despret et Isabelle Stengers, auquel a également participé pour l’ULiège la philosophe Laurence Bouquiaux, intitulé Les faiseuses d’histoires. Il pose en effet notamment la question de l’inconfort d’occuper une place qui ne devrait pas être la sienne. C’est un livre à mettre entre les mains de toutes les jeunes chercheuses afin qu’elles comprennent que les difficultés auxquelles elles font face de manière individuelle ont en fait une dimension collective, structurelle et historique. »

« J’ai également été très touchée par la manière dont mes collègues doctorantes (et quelques doctorants) des diverses institutions belges mais aussi à l’international ont tissé un lien de solidarité entre nous afin de nous soutenir et de prendre confiance en nos travaux. C’est une belle expérience collective. »

* À ce sujet, Oriane Petteni invite à visionner cette vidéo de l'ULB.

Céline PAROTTE, chercheuse en Science politique
+

Céline Parotte

 

"Je rejoins celles qui pensent qu’il faut opérer, agir sur plusieurs scènes sans totalement se conformer à un ordre institutionnel établi (originellement pour les hommes) que chercheuse et chercheur auraient en commun."

Au sein du Centre de recherche Spiral, Cécile Parotte développe principalement un projet de recherche de type prospectif sur la gestion des déchets hautement radioactifs et du combustible usé en Belgique. Mené en collaboration avec l’Université d’Anvers et l’Université de Maastricht, ce projet vise, de manière concertée — avec les parties prenantes désireuses de s’exprimer  à définir les moyens à mettre en œuvre pour concevoir un processus décisionnel du programme national qui soit socialement responsable et sûr pour gérer ce type d’objets controversés. Dans ce contexte, les équipes du Centre de recherche Spiral ont pour mission de répertorier les besoins et les attentes des différents acteurs concernant la gestion à long terme des déchets hautement radioactifs et le type de processus décisionnel qu’ils souhaitent voir mis en place.

Une journée qui sonne comme un double rappel 

Pour Céline Parotte, la Journée internationale du droit des femmes est d’abord l’occasion de rappeler et de célébrer l’ensemble des combats menés par une série de femmes et d’hommes durant le siècle dernier. « Ces luttes ont permis des avancées significatives en faveur d’une égalité homme-femme sur des choses qui peuvent parfois sembler aller de soi aujourd’hui, comme le droit de vote ou encore le droit de disposer d’un compte bancaire propre.» Pour la chercheuse, cette journée sonne aussi comme un double rappel. « Premièrement, la vigilance reste de rigueur pour défendre les droits acquis. Ensuite, comme le titrait encore le Courrier International en février-mars 2018 : "Femmes, un combat mondial", il reste encore beaucoup à faire en Belgique et ailleurs, notamment sur les droits des femmes à disposer librement de leurs corps, à toucher des rémunérations égales à travail égal, à dépasser le « plafond de verre » et plus largement sur la lutte contre le sexisme et les inégalités. »

Construire des ponts

Des inégalités hommes-femmes qui touchent aussi le domaine de la recherche. « En la matière, ma perception a évolué au fil de mes années de pratiques scientifiques. Cette prise de conscience de parcours scientifiques distincts à de nombreux égards, mais identiques pour d’autres dans le milieu universitaire, je la dois à l’ouvrage salutaire «Les faiseuses d’histoires. Que font les femmes à la pensée ? » de Vinciane Despret et Isabelle Stengers, paru en 2011. J’ai accepté l’invitation qui consiste à refuser l’assignation à un rôle unique comme celui de faire de la recherche « en tant que femme » ou « faire de la recherche comme un chercheur [homme] ». Je rejoins celles qui pensent qu’il faut opérer, agir sur plusieurs scènes sans totalement se conformer à un ordre institutionnel établi (originellement pour les hommes) que chercheuse et chercheur auraient en commun. »

Céline Parotte envisage sa carrière de chercheuse sur le long terme et aimerait avant tout continuer à travailler sur des sujets « science – technologie – société ». « Si je dois me projeter dans 10 ans, je me vois également travailler à créer de manière plus systématique des ponts entre les disciplines (sciences humaines et sciences dures) et entre les scientifiques et non-scientifiques. Je suis intimement convaincue que nous avons tous beaucoup à apprendre des uns et des autres. »

Une pratique collective et multidisciplinaire

Trois chercheuses de l’ULiège ont particulièrement marqué le parcours de Céline Parotte. « Mes deux mentores qui m’ont donné le goût de la recherche, cultivé mes questions impertinentes et remis en cause des dizaines de certitudes sont la professeure honoraire Catherine Zwetkoff et la professeure Catherine Fallon. Et, plus récemment, la professeure Sheila Jasanoff, Docteure honoris causa de l’ULiège qui m’a rappelé que la recherche n’a de sens qu’en étant une pratique collective et multidisciplinaire. Chacune dans leur style, elles sont des femmes de caractère, des « faiseuses d’histoires » qui refusent de travailler ou d’être assignées à une discipline unique. Elles sont à bien des égards des visionnaires qui fourmillent d’idées et contribuent à faire voyager les concepts, obligeant les disciplines à se rencontrer, à échanger et à réfléchir de manière conjointe pour construire des terrains d’entente communs. Pour paraphraser Vinciane Despret et Isabelle Stengers, elles me rappellent chaque jour que nous, [les femmes], avons mieux à faire que de nous soumettre courageusement, dignement à ce qui se présente comme inéluctable. Elles poussent à être des impertinents constructifs ! »

Le site Genre et Diversité

Le site du Feminist&Gender lab

Le Master interuniversitaire de spécialisation dédié en études de genre

Share this news